Interview de Rabah Bouzidi

Diplôme
Doctorat (École Centrale Nantes, 1993) Diplôme d’ingénieur (ENTP, 1988)
Position
Enseignant-chercheur, maître de conférence
Entreprise
GeM – Université de Nantes

Où et comment s’est passée votre vie d’étudiant post-bac ?


Après avoir passé mon bac en Algérie en 1982, j’ai postulé à une université à 110km de mon lieu de naissance pour y étudier la physique. J’ai été pris et à l’issue de la première année j’ai demandé à faire un master en physique fondamentale. Cette demande m’a été refusée sous prétexte que j’avais deux “zéros” dans des matières que j’avais refusé de suivre car j’estimais qu’elles n’avaient pas lieu d’être à l’université. Cet acte militant m’a valu mon inscription dans le master de physique alors que j’avais la meilleure moyenne de physique de l’université.

Après cette expérience, j’ai quitté cette université que je ne pouvais plus supporter, j’ai été à Alger et j’ai été faire le tour des grandes écoles pour m’inscrire en 1 ère année. J’ai été pris à la première école que j’ai visité c’était l’École Nationale des Travaux Publics (la jumelle de l’ENTPE Lyon) pour suivre un cursus d’ingénieur d’état en génie civil en 5 ans.

À la fin de ce cursus et comme j’étais bien classé dans mon école, j’ai bénéficié d’une bourse pour une thèse de doctorat que j’ai réalisée en France en cotutelle avec l’École Centrale de Nantes et l’Université de Nantes.

 

Comment s’est passée votre première rencontre avec la mécanique ?


C’est une matière que j’ai toujours appréciée, mes premiers souvenirs remontent à la seconde où on a commencé à étudier l’équilibre des forces, c’était une matière qui mélangeait l’algèbre vectorielle et les forces, on s’amusait à sommer des vecteurs pour faire zéro, une résultante nulle, etc… C’est quelque chose qui me parlait tout de suite, je traduisais les équations en phénomène physique. J’aime les choses bien posées et la mécanique en est une.

Quels ont été vos premiers jobs  ?


Mon tout premier job pour lequel j’ai reçu un salaire était l’encadrement des TP de mécanique des sols à l’École Centrale de Nantes. Mais j’ai travaillé auparavant en aidant mon père qui était fermier, il produisait des fruits et légumes, du lait…

Pourquoi avoir choisi la recherche et quel était votre sujet de mémoire ?


En suivant le cursus d’ingénieur en génie civil, j’ai été intéressé principalement par la partie fondamentale (mécanique) et il y avait une partie qui me gênait c’était la partie culture génie civil : le gravier, les routes, les normes, etc… tout ce qui était approximatif me gênait un peu. La thèse était comme un moyen de glisser du génie civil vers le noyau du génie civil qui est la mécanique. Dès la fin de ma formation j’ai tenu à travailler sur quelque chose de fondamental, à l’époque nous n’avions pas de cours sur les éléments finis car les calculs sur ordinateurs n’étaient pas développés, c’était le balbutiement.

En 4ème année nous avions eu un séminaire avec un code de calcul où je n’ai rien compris, j’ai vu la puissance qu’il y avait derrière et je me suis dit c’est ça que je veux faire. Mon sujet de mémoire a donc été là-dessus, sur les éléments finis où j’ai programmé avec un camarade un élément fini coque. J’ai passé 4 mois à ne pas dormir parce qu’il fallait apprendre ce qu’était l’informatique, un langage de programmation (Fortran), comprendre la méthode des éléments finis… mais cela m’a été énormément formateur.

Quel bon vent vous a amené à l’UFR Sciences ?


Pendant ma thèse, j’ai fait les deux premières années dans les locaux de l’École Centrale et mon encadrant est venu s’installer à la fac pour créer la licence de mécanique. Je l’ai suivi et j’ai un peu participé au montage de la licence, j’ai aussi commencé à enseigner pendant ma 3ème année de thèse. Et puis avec l’ouverture de la licence Mécanique, j’ai été nommé en tant qu’enseignant-chercheur en 1994. Les premières années ont pour moi été laminoirs parce que nous étions 3 à porter tout une filière donc j’ai multiplié par 3 mon service.

Quels sont vos sujets de recherche actuels ?


Mon sujet actuel de recherche c’est la modélisation des membranes souples en grande transformation, je travaille sur ce sujet avec Anh LE VAN et Jean-Christophe THOMAS.

Quel est la publication/découverte en mécanique dont vous êtes le plus fier ?


Il n’y a pas de découverte mais la publication dont je suis vraiment fier c’est l’utilisation d’une approche, méconnue, de résolution de problèmes de statique par minimisation de l’énergie. Il y a très peu de personnes qui travaillent là-dessus mais cette approche permet l’utilisation d’outils numériques qui sont très robustes pour résoudre des problèmes mécaniques sur lesquels on s’arrachait les cheveux : l’instabilité, la bifurcation… C’est une approche que peu de personnes utilisent mais dont la puissance est incroyable pour des structures mal conditionnées.

Pourquoi avoir créé le master MFS (Mécanique et Fiabilité des Structures) ?


À l’époque en 1994 il y avait le système DEUG (Bac+2), Licence (bac+3) et Maîtrise (bac+4), et pour se conformer au formatage Européen LMD et atteindre un bac +5 nous avons greffé en 1998 un DESS (Diplômé d’études supérieures spécialisées). Il s’agit d’une année supplémentaire après la maîtrise.

Que pensez vous de la concurrence entre écoles d’ingénieurs et universités ?


Est-ce que je peux utiliser un joker parce que ça risque d’être cinglant ? En fait je suis assez amer dans la situation actuelle dans le sens où les écoles d’ingénieurs ont été créées pour créer des ingénieurs, c’est-à-dire des personnes qui apportent une plus-value dans l’économie, et cette plus-value est due à leur génie dans leur domaine de spécialité. Pour cela on a mis tous les ingrédients pour que ça réussisse, à savoir une sélection des étudiants, beaucoup d’argent et beaucoup de moyens.

Ça a donné des très très bons ingénieurs pendant des décennies, et ces derniers temps la finance a phagocyté toutes ces écoles et on forme des managers qu’on retrouve dans les banques, dans les grands groupes en tant que managers. Je trouve cette situation complètement anormale dans le sens où on a quand même besoin de vrais ingénieurs qui ont des têtes bien faites pour produire, créer, breveter, apporter la plus-value. C’est devenu une caste intouchable, « on a la mainmise sur l’argent », puis il ne faut pas toucher à ça, c’est comme ça. Le décalage qu’il y a entre l’université et les écoles d’ingénieurs n’a pas lieu d’être pour moi parce que… mon propos est un peu exagéré, mais le seul endroit où l’on continue à faire de la science par la science et pour la science, c’est ici.

Je vais maintenant parler un peu de la fac. Disons le clairement, on récupère des étudiants qui n’ont pas trouvé d’inscription ailleurs, il y en a qui viennent par choix mais beaucoup viennent par défaut. Ils arrivent en L1 et on les lamine avec un contenu qui est beaucoup plus difficile que dans les IUT par exemple, puis on les perd la deuxième année puis ceux qui arrivent encore à flotter sur l’eau on les récupère en L3 puis en M1 et en M2, parfois ça donne d’excellents étudiants. Ce qui me chagrine c’est qu’ici on continue à faire de la science notamment de la physique théorique, et par cette concurrence déloyale des grandes écoles, les têtes biens faites sont aspirées par ces réseaux. La fac de sciences est donc le dernier tamis : ceux qui tombent dans le dernier tamis, ceux-là, les pauvres, ceux qui viennent ici par défaut, ils ne trouvent pas leur place. Alors qu’on devrait avoir les têtes les mieux faites, ceux qui aiment bien les sciences, malheureusement, on n’en a que deux ou trois dans les promos maximum et c’est dommage.

 

De quoi parle votre livre co-écrit avec Anh LE VAN : Mécanique de Lagrange ?


Ce livre parle d’une approche que Lagrange a développée au XVIII siècle. C’est une approche assez originale qui contraste un peu avec l’approche classique en mécanique, là on a une approche analytique qui utilise des quantités énergétiques pour formuler les problèmes mécaniques. Ça s’adresse à des étudiants de L3, M1 et M2, par contre la façon dont il a été écrit nécessite une très forte implication du lecteur, c’est écrit sous un angle mathématique. C’est à dire que chaque affirmation est un théorème ou une définition, c’est une approche extrêmement analytique du contenu de la mécanique. C’est beaucoup plus qu’un cours, ce livre s’intéresse aussi à des questions un peu bizarres sur l’indépendance du champ de vitesse virtuel par rapport à un référentiel par exemple, des questions que l’on se pose très rarement. On ne lit pas ça comme un Harry Potter, c’est une écriture très très analytique des choses.

Livre disponible ici

 

Je sais que vous pratiquez l’observation astronomique, est-ce une passion ?


J’ai toujours été attiré par le ciel et j’ai mis ça entre parenthèses par manque de temps, par solitude par rapport à cette activité parce que c’est pas facile de faire tout ça tout seul dans son coin. Il y a 3 ans j’ai eu la chance de rencontrer une personne qui est, sans exagérer mes propos, l’un des meilleurs astronomes amateurs de France. C’est Nicolas Dupont-Bloch, il habite ici pas loin et il a écrit un certain nombre de bouquins, je l’ai connu par mon fils et sachant que j’étais intéressé par ça il m’a proposé de m’initier là dedans. Il m’a déversé tout ce qu’il connaissait depuis une trentaine d’années, il m’a conseillé sur l’achat de matériel, comment prendre les photos, comment les traiter, avec quels logiciels… Ça a été une formation accélérée de sa part et je le remercie infiniment pour ce merveilleux cadeau, c’est mon mentor de l’observation astronomique.

Je préfère observer le ciel profond, tout ce qui est nébuleuse, galaxies, amas d’étoiles, des choses un peu bizarres et qui sont révélées par la photo. C’est un peu comme la pêche au poisson, on prépare les choses, on y va, on s’installe, on attend beaucoup et puis on rentre, puis on commence le traitement et c’est là qu’on a le résultat de l’observation.

photosrabah

Avez-vous toujours eu envie de devenir chercheur dans la mécanique ?


Le métier c’est une conséquence, ce que j’ai toujours aimé c’est la science. Ça peut être n’importe quoi, j’ai critiqué la chimie, mais un bon cours de chimie pourquoi pas. Ce qui repousse mon horizon de la connaissance, ça ça m’intéresse beaucoup. J’ai autrefois voulu être pilote mais je n’ai pas pu le faire car à l’époque c’était en Algérie et je n’ai pas pu postuler pour aller là-dedans. Ce n’est pas un regret pour autant, là je me suis inscrit à l’ULM pour piloter des avions beaucoup plus petits.

 

Êtes-vous plutôt enseignement ou recherche ?


Je préfère l’enseignement parce que je pense que la plus-value est plus importante pour la société, ce que je peux injecter dans l’enseignement est plus profitable pour la communauté que ce que je peux produire en recherche. J’ai toujours aimé l’enseignement, c’est un moment de partage, quand t’arrives à faire comprendre à des étudiants des choses et que tu vois des yeux s’ouvrir c’est ça la plus-value pour moi.

 

Quels conseils donneriez vous aux étudiants de la filière mécanique ?


Il faut avoir du plaisir et se déconnecter des notes, fixer comme objectif la compréhension et le plaisir d’apprentissage.

 

BONUS : Est-ce que vous avez sincèrement compris ce qu’était un repère galiléen ?


Pfff…. Hum… C’est une chose qu’on a définie parce qu’on en avait besoin, c’est un repère dans lequel la loi de Newton fonctionne mais au-delà de ça, ça débouche tout de suite sur une frontière philosophique. Le repère galiléen c’est le repère, au centre de gravité de l’univers, qui n’est pas accéléré, si l’univers tourne alors ce repère tourne aussi, c’est dans ce repère que la loi de Newton sera probablement la plus exacte possible. Mais on ne peut pas le construire, et à la limite on n’en a pas besoin pour créer un iPhone, un ordinateur, satelliser un engin, piloter un avion… d’autres repères qui ne sont pas du tout galiléens nous suffisent, parce qu’ils sont suffisamment précis pour pouvoir l’utiliser.

Qu’est-ce que c’est qu’un repère galiléen ? C’est un repère qui est lié à l’existence même de l’univers et l’existence de l’univers hum… bah… voila tu peux revenir demain on prendra encore 15 cafés et consacrer toute une vie à ce sujet, donc je n’ai pas compris ce qu’était un repère galiléen d’accord ? Pourtant je l’enseigne chaque année à tous les niveaux…

Interview réalisée le 13/11/2019

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